L’Inde et le défi écologique, état des lieux et résistances

Publié le par Ben

L’Inde est le deuxième Etat de la planète en nombre d’habitants avec plus de 1 milliard d’individus. Connaissant depuis plusieurs années un taux de croissance de plus de 7 %, le Sous Continent est une nouvelle puissance régionale qui ne cesse de croître, n’ayant bientôt plus rien à envier à la Chine.

Pour le moment 10e puissance économique mondiale en termes de produit national brut, l’Inde se situe d’ores et déjà à la quatrième place en termes de parité de pouvoir d’achat. Un humain sur six est Indien et le Sous Continent sera probablement d’ici peu le deuxième marché de consommation mondiale, avec un demi milliard d’individus dotés d’un réel pouvoir d’achat[1]. Possédant également l’arme nucléaire, la « plus grande démocratie du monde » est bien consciente de sa puissance et convaincue de son droit à siéger parmi les membres permanents des Nations Unies. De plus, le pays connaît aujourd’hui un nombre de diplômés équivalent à l’ensemble de la population française, ce qui lui permet par exemple d’être leader dans le domaine des technologies de l’information.

Pour tout cela, l’Inde est dès à présent un des principaux acteurs de la Mondialisation et un des grands consommateurs de matières premières. Le développement indien pose ainsi à l’humanité un défi majeur, celui de l’écologie. La planète ne dispose pas de suffisamment de ressources naturelles pour assurer à un milliard d’Indiens un niveau de vie équivalent à celui des populations occidentales. L’Inde est déjà le premier consommateur mondial d’or, et de loin : elle représente quelque 20% de la demande mondiale de ce métal, très prisé dans le pays sous la forme de bijoux par exemple, offerts à l’occasion de mariages ou de divers festivals. Le pays absorbe également 2% de la demande mondiale de cuivre et 3% de celle de pétrole brut[2], et ces chiffres ne peuvent que progresser.

La question de l’augmentation exponentielle de l’empreinte écologique indienne est devenue primordiale pour l’avenir de la planète et donc de l’ensemble de l’humanité.

Il faut néanmoins ne pas perdre de vue que les premières victimes du développement du Sous Continent, notamment sur le plan industriel, sont d’abord les Indiens eux-mêmes. Un exemple : Bhopal, capitale du Madhya Pradesh, Etat du centre de l’Inde. Dans la nuit du 2 au 3 décembre 1984, alors que la ville est endormie, un nuage toxique de plus de 40 tonnes s'échappe de l'usine de pesticide d'Union Carbide (voir photo du site), multinationale américaine de fabrication de pesticides. Le journal Le Monde, dans son édition du 6 décembre 1984, annonce alors le chiffre catastrophique de plus de 1000 morts. Le gouvernement du Madhya Pradesh établira ensuite un bilan final de 3828 morts. Aujourd’hui, on parle en fait de 15.000 à 30.000 morts des suites de cette catastrophe et de 500.000 à 800.000 personnes affectées par les gaz toxiques. Plus de 20 ans après ce drame, des émanations toxiques continuent de tuer à Bhopal des dizaines de personnes tous les mois. Il s’agit de la plus importante catastrophe industrielle de tous les temps. Seule une statue érigée à proximité du site contaminé rappelle encore la tragédie. Warren Anderson, PDG d’Union Carbide au moment des faits, vit aujourd’hui paisiblement ces années de retraite dans l’Etat de New York, ce malgré les poursuites judiciaires en responsabilité engagées contre lui. Le plus grave réside dans le fait que les victimes n’ont toujours pas reçu de dédommagements financiers conséquents 21 ans après la catastrophe. Une coalition d’ONG locales et internationales a décidé de lancer la Campagne internationale pour la justice à Bhopal (ICJB), relayée entre autre par Greenpeace ou encore Amnesty International[3].

Autre exemple de catastrophe due au développement indien : le projet de la vallée de la Narmada. Le barrage de Sardar Sarovar, sur le fleuve Narmada, constitue la pièce maîtresse d'un projet devant irriguer quelques 18 000 km² avec 75 000 kilomètres de canaux. Censé fournir en eau potable plus de 40 millions de personnes et produire de l'électricité, ce projet pharaonique nécessite le déplacement de près de 300 000 personnes. Devant en théorie être dédommagées par l’Etat pour la perte de leurs terres, ces dernières, souvent des paysans pauvres, Adivasis et autres Intouchables, se retrouvent au contraire bien souvent chassées manu militari de leurs villages sans aucune compensation financière. Révoltés par cet état de fait, des opposants aux travaux, menées par Medha Patkar, ont formé le Narmada Bachao Andolan (NBA, le mouvement Sauvez la Narmada). Après avoir gagné une première victoire devant la Cour suprême indienne en 1994 qui ordonna le gel des travaux, malgré le soutient au projet de la Banque Mondiale, le NBA se vit ensuite débouté en 1999 par la même Cour suprême déclarant que les travaux devaient être menés à leurs termes. Arundhati Roy (photo), écrivaine mondialement connue (elle a obtenue en octobre 1997 le Booker Prize pour son livre Le dieu des petits riens) et égérie du mouvement altermondialiste, s’est ralliée à la cause du NBA[4] et a donné une aura internationale à ce mouvement. Aujourd’hui le combat continue. Des paysans indiens ont su se structurer et prendre en main leur destin pour faire bloc face au rouleau compresseur du développement économique.

Ces deux exemples de résistance sont sans doute les plus connus et commentés sur la scène internationale, mais des milliers d’autres existent sur le Sous Continent.

Ekta Parishad[5] par exemple (Forum de l’Unité en Hindi), est un mouvement créé au départ pour défendre des paysans qui se faisaient expulser de leurs terres par les autorités pour entre autre fournir des terrains à des multinationales. Ne sachant pas lire pour la plupart, ces paysans se voyaient offrir un acte de propriété (une patta, photo prise en juillet 2004) par les autorités, vidé en fait de sa substance. Ils étaient ainsi expulsables à tout moment, se voyant rétorquer l’irrégularité de leur acte de propriété. Ekta Parishad s’est alors constitué pour défendre ces populations en suivant deux axes : d’une part la mobilisation des populations dans chaque panchayat (équivalent local de nos conseils municipaux), d’autre part le lobbying et le plaidoyer auprès des autorités. Le mouvement a pris de l’ampleur, mené par son leader charismatique Rajagopal, digne héritier de Gandhi basant son action sur l’ahimsa, la non violence. Aujourd’hui Ekat Parishad est présent dans huit Etats indiens, soixante districts et plus de 4000 villages. Aux dernières élections législatives de mai 2004, en incitant les Adivasis et autres hors castes indiens à voter, Ekta Parishad a fortement contribué à faire pencher la balance du côté du parti du Congrès et non du BJP (Bharatiya Janata Party, « parti du peuple indien »), parti nationaliste hindou au pouvoir de 1998 à 2004. Le 2 octobre 2007, anniversaire de la naissance du Mahatma Gandhi, Ekta Parishad a prévu d’organiser une marche de 350 km devant rassembler au moins 250 000 personnes afin de réclamer une réforme agraire permettant enfin de fournir aux oubliés du développement économique indien et de la mondialisation le minimum vital.  

En organisant en janvier 2004 leur Forum social mondial à Bombay, les militants altermondialistes ne s’y sont pas trompés. Traversé de milliers de mouvements sociaux de résistances, résistance face à la destruction de l’environnement au profit du développement économique, résistance face à la disparition de modes de vie ancestraux au profit de la modernité urbaine, résistance face aux agissements des multinationales telles que Coca Cola, l’Inde abrite aujourd’hui quelques 1,2 millions d’ONG dont nombre d’entre elles se battent contre les effets néfastes du développement économique indien. Rappelons que vivent en Inde près de 800 000 millions de paysans pauvres, soit deux fois plus que l’ensemble de la population européenne.

Le Sous Continent est devenu aujourd’hui un des principaux laboratoires de résistance face au rouleau compresseur de la mondialisation libérale. L’analyse de sa situation, à l’instar de la Chine, est une grille de lecture incontournable pour tenter de comprendre notre monde contemporain.


* Je viens d'apprendre que Bombay vient d'être frappée par une série de sept attentats dans les transports en commun, ayant fait au moins 130 morts (ça veut dire plusieurs centaines). Pauvres gens. Sympa. Je m'y rends dans deux jours.




[1] C’est à partir de 1991, lorsque P. V. Narasimha Rao, alors Premier Ministre, décida d’ouvrir le pays à la concurrence internationale, que débuta réellement l’insertion de l’Inde dans le processus de mondialisation. 

[2] L’Inde, une "deuxième Chine" pour les matières premières. Article paru dans Témoignages le lundi 4 juillet 2005

[3] Voir l’article de Olivier Bailly, Bhopal, l’infinie catastrophe, Monde diplomatique, décembre 2004.

[4] Arundathi Roy, le dieu des petits riens, éd. Folios, juillet 2002. Sur les barrages de la Narmada, voir Arundathi Roy, L’écrivain-militant, Folios documents, 2003.

Publié dans Inde

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C
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