Islam et médias : une relation « conflictuelle »

Publié le par Ben

Après quelques réflexions sur la religion et la citoyenneté (voir article précédent), voici quelques idées sur la relation entre l'Islam et les médias français, qui n'est pas, loin s'en faut, un long fleuve tranquille.


Nous percevons aujourd’hui, dans les sociétés dites occidentales, une vision négative de l’Islam. Elle est en grande partie due aux images véhiculées par les médias. Non pas que ceux-ci soient racistes ou véhéments envers telle ou telle religion, mais leur simplification des phénomènes religieux est en grande partie responsable de la mauvaise image qu’a la religion musulmane dans l’opinion publique.

La télévision et son traitement toujours plus rapide de l’information, dans sa logique de la course au scoop et du tout image, depuis la révolution iranienne de 1979 (photo de l'ayatollah Khomeini), et l’on peut même ramener cela à 1972 et à la prise d’otages de la délégation israélienne par un commando palestinien, présente toujours aux téléspectateurs les phénomènes violents, attentats, prises d’otages, massacres, etc., un peu partout sur la planète, englobant tout cela dans une même réalité, l’Islam. Conflit israélo-palestinien, Tchétchénie, Darfour, attentats du 11 septembre, Pakistan, Afghanistan, etc. Tout est mis dans le même sac, gommant la très grande différenciation qui existe en réalité entre tous ces phénomènes pour chercher le vecteur responsable, ou plutôt le bouc émissaire, l’Islam.

Pourtant au regard des territoires et pays concernés, on pourrait tout aussi bien mettre en avant comme facteur déterminant de ces violences la pauvreté, ou bien encore l’interventionnisme américain ou occidental, qu’il soit économique ou militaire.

Mais dans sa recherche du binaire, du simplisme pour plus de rapidité et de visibilité, peut-être dans une certaine nostalgie de la Guerre Froide, le système médiatique a trouvé son ennemi de l’extérieur, l’Islam politique, avec son porte-parole actuel, Oussama Ben Laden, excellent produit médiatique de par le mystère régnant autour de sa personne et le phénomène de peur-fascination qu’il inspire. Et malgré le fait que lui et son groupuscule terroriste, Al Qaeda, sont ultra-minoritaire dans le monde islamique, petit à petit, insidieusement, dans la tête des gens, cette Islam intégriste, qui ne peut d’ailleurs absolument pas, par la monstruosité de ses actes et la barbarie de ses méthodes, se revendiquer du Coran, apparaît comme représentatif de l’ensemble des musulmans qui, comme le reste des êtres humains, n’inspirent pourtant qu’à une seule chose, vivre en paix. 

Entendons-nous bien : les médias, et en particulier la télévision, ne sont pas les responsables conscients de tous ces amalgames. C’est bien plutôt le temps médiatique inhérent à l’audiovisuel qui entraîne cela. Mais les conséquences sont très néfastes sur l’opinion publique et sur l’entretien de fantasmes concernant l’ensemble des musulmans.

Dans l’Islam imaginaire, Thomas Deltombe, qui a étudié le traitement de l’islam par les médias français depuis la fin des années 70, explique très bien ce phénomène.

Il n’y a que la pédagogie et la curiosité qui peuvent lutter contre ces fantasmes et montrer que l’Islam est une religion comme les autres, ne portant pas plus en elle les graines de la violence et de l’intolérance que n’importe quelle autre religion. Que dire de la Reconquista espagnole et de l’Inquisition, du massacre des Indiens d’Amérique, de la traite des Noirs en Afrique, etc. ? L’Islam n’a certainement pas le monopole de la violence dans l’histoire de l’Humanité. Ce sont par contre les images en permanence négative que l’on lui renvoie qui peuvent provoquer des phénomènes de repli, d’intolérance et de violence. C’est ce que l’on appelle un phénomène performatif, créant à posteriori une réalité qui n’existait pas avant sa description imaginée.

Des phénomènes d’identification néfastes se développent également autour de l’amalgame médiatique, comme les jeunes de banlieues qui vont s’apparenter à leurs « frères » palestiniens et commencer à éprouver de l’antisémitisme, alors qu’en France, juifs et musulmans n’ont à priori aucune raison de s’affronter dans le cadre de la République.

Alors quels outils inventer pour lutter contre ce prêt à penser médiatique qui catégorise les gens selon leur religion, leur culture, leur croyance, ouvrant la porte à tous les amalgames et les incompréhensions ?

La multiplication de nouvelles chaînes de télévision issues du Moyen-Orient par exemple, telles Al Jezira ou Al Arabya, avec l’offre d’un point de vue différent de celui des grandes chaînes occidentales, est sans doute désirable pour développer une altérité audiovisuelle et construire un miroir plus complet de la complexité de la réalité du monde. Néanmoins il faut que les téléspectateurs de ces chaînes soient de différentes confessions, sinon l’on en arrive à des cloisonnements tels qu’une chaîne par confession.

En France, les médias, tout comme le monde politique, doivent s’ouvrir d’avantage aux gens issus de l’immigration. Il faut qu’un destin extraordinaire tel que celui d’Oprah Winffrey (photo), née dans une famille noire et pauvre du Mississipi et devenue la plus grande vedette de la télévision américaine, soit imaginable en France. 
Il s’avère nécessaire d’ouvrir Sciences Po et les écoles de journalisme aux meilleurs élèves des lycées de banlieues, composés en grande partie de jeunes issus de l’immigration maghrébine et africaine. Même si le système élitiste français est très discutable, la proposition de Patrick Weil, directeur de recherches au CNRS, d’ouvrir de façon automatique aux classes préparatoires aux grandes écoles les 8% des meilleurs élèves bacheliers permettrait par exemple aux élèves des lycées défavorisés d’accéder aux filières d’excellence, conduisant entre autre au journalisme. Etant donné le retard pris par la France en cette matière, une dose d’affirmative action, si elle s’avère correctement adaptée au contexte français, est tout à fait envisageable. 
Pour lutter contre le prêt à penser médiatique, il faut donc que les médias s’ouvrent plus à l’autre, qu’il soit étranger ou Français issus de l’immigration. Une des façons les plus efficaces est sans doute de tout faire pour que leurs propres journalistes soient issus de toutes origines et de tout horizon, notamment des milieux populaires, car il y a une tendance actuelle dans les médias français à faire du racisme de classe, en méprisant certains choix. Cela s’est très bien vu durant le référendum sur la Constitution européenne, où les partisans du Non étaient considérés par la plupart des éditorialistes comme de grands enfants manifestant leur colère et non pas comme des citoyens informés faisant un choix dûment réfléchi.

Il faut de même rapprocher l’information du citoyen en soutenant les initiatives de médias de quartiers, notamment en banlieues, comme ont su le faire les journalistes suisses à l'origine du Bondy blog créé après les émeutes en banlieue de novembre dernier. Les subventions publiques seraient à cet égard utiliser à bon escient.

Ce ne sont que quelques modestes pistes à explorer, relativement simples à mettre en place mais urgentes à décider, au risque de voir une bonne partie de la population tourner définitivement le dos au monde politico-médiatique.

En tous cas, ceux qui considèrent que la religion, en particulier l’Islam, est responsable de tous les maux actuels de la France, se trompent de cible, sciemment ou non d’ailleurs. Comme dirait le proverbe chinois : « Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde son doigt. » 

Publié dans Pensée du jour

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