Religion et la citoyenneté

Publié le par Ben

Voici quelques réflexions sur la compatibilité de la religion avec la République et la notion de citoyenneté. Je tiens à préciser que je suis un athée aimant beaucoup les oeuvres de Michel Onfray, contrairement à l'impression que je pourrais donner à la lecture de ces quelques lignes.


Aujourd’hui, à l’heure de la mondialisation, le fait religieux semble être le principal vecteur à l’origine des multiples conflits et violences qui égrènent partout sur la planète : Figure de proue de la menace globale, la nébuleuse terroriste Al Qaeda, au nom d’une vision fondamentaliste de l’Islam, multiplie les attentats contre les populations civiles en Irak, en Indonésie, en Egypte, au Pakistan, mais aussi à New York, à Madrid ou encore à Londres. Au Moyen Orient, les tensions entre sunnites et chiites s’exacerbent suite à l’invasion américaine en Irak tandis qu’Israël et les territoires palestiniens n’en finissent pas de s’affronter. Le conflit latent entre l’Inde et le Pakistan, du en grande partie au non règlement du statut du Cachemire, est également souvent considéré comme un affrontement entre Hindous et Musulmans.


Bref, à première vue, la religion en général est en grande partie responsable de la violence de l’état du monde en 2006. Pour les laïcs français « traditionalistes », selon une vision très Troisième République qui, rappelons-le, est ultra-minoritaire sur la scène internationale, la phrase de Malraux du « XXIe siècle qui sera spirituel (dans le sens du religieux) ou qui ne sera pas » résonne comme un proche apocalypse venant tout détruire sur Terre dans un affrontement généralisé entre les religions.

Pourtant, il convient peut-être de ne pas dresser un tableau aussi noir du fait religieux. Prenons pour cela un auteur qui fut un grand spécialiste de la religion qu’on ne peut certainement pas soupçonner d’être un fondamentaliste, Mircea Eliade. Dans son anthropologie des Religions, Mircea Eliade développe l’idée que le fait religieux, dès son apparition, à travers ses mythes et symboles, a permis à l’homme de décrypter le monde en lui fournissant une explication à tous les mystères de la nature, la vie, la mort, le temps, l’espace, la place de l’être humain sur terre, la sexualité, etc.

Le Monde, grâce à la religion, ne constitue plus une masse informe d’objets sans but ni sens, arbitrairement jetés ensemble, mais bien au contraire un cosmos vivant, articulé et riche de sens. Le langage du Monde vient parler à l’Homme par le biais de la religion qui devient le traducteur de cette communication.

Ainsi, selon Mircea Eliade (photo) « Les symboles religieux révèlent les structures fondamentales du monde ». Et le fait religieux, dans toutes les civilisations, est apparu d’abord comme une infrastructure, un fait structurant des individus ayant fait le choix de vivre ensemble au sein d’une communauté.

Les premiers hommes, durant la préhistoire, avaient déjà institué leur système de croyances avec par exemple des cérémonies spécifiques entourant leurs morts. De nombreuses traces en témoignent aujourd’hui. Des peuples de Mésopotamie en passant par l’Egypte des Pharaons, les Grecs, les Romains jusqu’à notre civilisation industrielle mais avant tout judéo-chrétienne, la religion a toujours amené les hommes à exister plutôt que vivre (d’ « existere » en latin, au sens de se voir de l’extérieur, donc tenter de comprendre sa propre existence) et les a incités à sortir de leur individualité. La religion est née de cette tendance « instinctive » de l’homme à se regrouper. Le sacré du fait religieux est alors devenu un signe d’alliance (pensons à l’Arche d’Alliance par exemple), de reconnaissance d’une identité commune partagée au sein d’une même croyance et par le bais de pratiques effectuées en groupe.

La Loi est ainsi née de la religion, ce dans toutes les civilisations, en tant qu’autorité transcendante, sortant l’Homme de son individualité pour lui permettre de vivre au sein de sociétés normalisées et régies par des règles communes.

Tous les principes juridiques et moraux découlent de la religion, même la laïcité, issue de la République une et indivisible, considérée un peu dans le reste du monde comme une religion typiquement française.

Le fait religieux permet ainsi de transcender son rapport à Dieu, mais surtout son rapport à soi et son rapport à l’autre.

Dans cette perspective, et selon un auteur comme Emmanuel Levinas (photo), c’est la rupture de cette transcendance qui est à l’origine du chaos, comme on a pu l’observer dans la Shoah par exemple, et non la religion en tant que telle.

En inversant la perspective, selon cette approche, le fait religieux est donc un facteur de rapprochement, de regroupement entre les hommes, bien plutôt qu’un facteur de divisions et de conflits. La religion a contribué au développement des valeurs citoyennes de cohésion au sein de la cité. Elle est mère de la politique et de la philosophie.

On me rétorquera que tous les conflits à travers l’Histoire, plus ceux que nous connaissons aujourd’hui, trouvent leurs origines dans la religion, dans la concurrence entre diverses croyances. Je souligne simplement que ces fameuses « guerres de religions » sont avant toute chose politiques. Il s’agissait de conflits pour des ressources, naturelles ou symboliques, pour des territoires, pour imposer un système sociétale. Il s’agit donc de bien séparer la religion des institutions religieuses, tel le Vatican par exemple, qui, elles, sont politiques avant d’être religieuses. 

Les religions, celles du Livre (catholique, judaïque, islamique), mais toutes les autres (Bouddhisme, Hindouisme, Shintoïsme, etc.), passent par la transcendance et la reconnaissance de l’altérité, dans toute la richesse de sa diversité. Les « guerres de religions », devenus aujourd’hui un « choc des civilisations » selon le concept fumeux d’Huntington, sont donc une perversité des religions. Il ne faut pas prendre ces dernières comme responsables. Ce serait un peu prendre le corps humain pour le principal responsable de l’existence du cancer.

Alors pour répondre à la question de savoir si l’appartenance à une culture ou à une croyance altère la citoyenneté, je répondrai que bien loin de l’altérer, la religion est mère de la citoyenneté. Elle en est donc constitutive. Après tout est histoire d’interprétation. Je vois bien que la question s’adresse aujourd’hui principalement à l’Islam, car les Français de tradition judéo-chrétienne s’inquiètent de devoir coexister sur ce territoire avec des Français, j’insiste sur le terme « Français », de tradition musulmane. Pourtant l’apport de ces populations peut constituer une extraordinaire richesse pour la citoyenneté dans notre pays.

La citoyenneté n’est pas un concept figé mais une construction culturelle faite de plusieurs briques. L’Islam peut tout à fait être l’une de ces briques, comme l’a été et l’est toujours le christianisme. La laïcité est bien l’acceptation de toutes les religions et leur vie commune dans une même société, régies par des règles juridiques justes et applicables à tous.

Tout dépend de l’accueil fait aux différentes composantes de cette société. Si la France continue, comme elle le fait aujourd’hui par le biais de certains de ses hommes politiques tels Le Pen, De Villiers ou Sarkozy de façon beaucoup plus insidieuse, de stigmatiser une partie de sa population, dont notamment les personnes issues de l’immigration originaires du Maghreb et de tradition musulmane, celles-ci se développeront à part, se marginaliseront et choisiront l’entre soi, porte ouverte à toutes les incompréhensions, intolérances et conflits latents (ce qui peut apparaître comme étant déjà le cas aujourd’hui, si l’on s’en réfère aux révoltes des banlieues de novembre dernier par exemple). On pourra toujours stigmatiser la religion, ce n’est pas elle qui aura été à l’origine de cette situation, mais bien le manque de capacité d’intégration de la société donnée.

La culture et l’appartenance à un système de croyances, prises dans leur sens juste, c'est-à-dire comme philosophie de l’altérité et comme reconnaissance d’une force transcendantale telle que la loi, non seulement n’altèrent pas la citoyenneté, mais sont bien au contraire les mères du vivre ensemble. Le reste n’est qu’intolérance, manque de curiosité et mauvaise interprétation.


Alors à la question de savoir comment vivre ses croyances en pratique sociale, il faut d’abord voir que les premières pratiques sociales (dessin d'un enterrement au néolithique ci-joint), regroupements autour des naissances, des enterrements, etc., se pratiquaient dans le cadre de croyances, animistes, polythéistes puis monothéistes. Ce n’est pas le fait religieux qui vient perturber la bonne tenue des relations entre les individus dans une société donnée, mais la mauvaise interprétation que l’on se fait de la religion de l’autre et l’instrumentalisation que certains en font à des fins politiques.


Prenons l’exemple du voile à l’école et de tout le débat autour de loi sur le foulard, qui est venue stigmatisée une fois de plus les Musulmans. Avant d’être une obligation religieuse, le port du voile permet à une femme d’avoir un outil d’identification à une communauté, à une grande famille, dans une société où l’on demande simplement aux gens d’être des consommateurs et aux femmes d’être des objets de désir pour les hommes, en particulier par le biais de la publicité. Dans ce contexte, beaucoup de gens vivant de surcroît dans des banlieues, devenues les lieux de bannissement de notre pays, il ne faut pas s’étonner que certaines personnes, n’ayant aucun élément leur permettant de croire qu’ils sont citoyens comme les autres et enfants de la République, s’identifient dans l’Islam et le revendiquent en tant que tel par le biais du voile. De plus, une femme portant le voile aura plus de faciliter à se faire respecter dans certains quartiers. S’il s’agit d’une régression, ce n’est certainement pas celle de l’Islam, mais plutôt de la République devenue incapable de représenter une grande famille dans la « tambouille globale » que nous vivons aujourd’hui.


Le port du voile n’est donc pas en soit incompatible avec d’autres pratiques sociales et avec les valeurs de notre République, mais la crise de ces mêmes valeurs entraînent des replis sur soit auxquels on oppose des stigmates bien plutôt que l’on propose un dialogue. Dans le cas de la jeune fille renvoyée de son lycée car elle aura refusée d’ôter son foulard, où sont les valeurs de la République ? Dans son intransigeance, qui chassera une personne de plus du cadre de la famille républicaine pour l’envoyer peut-être par désespoir vers tous les sectarismes, ou dans sa tolérance, qui fera que tout le monde est accepté, dans toute son altérité, même quand celle-ci est voilée ?

Il est nécessaire de bien savoir ce que l’on veut, sinon ce que l’on appelle encore « République », cette idée du vivre ensemble à travers des liens de solidarité, et qui est de plus en plus vide de sens, si ce n’est en référence à des époques désormais révolues, risque de ne pas nous survivre.

Publié dans Pensée du jour

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
Psychose et croyances.<br />  <br /> <br /> Ni Dieu, ni Diable, seulement et totalement une maladie psychiatrique.<br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> Après les primates, il y a eu des hommes dont certains souffrent d'une maladie nommée «schizophrénie»; lesquels dans leurs perceptions hallucinatoires croient entendre le Divin - et voient ses envoyés - leur donnant des ordres. Ils sont alors en certitude d’être désignés pour une mission divine.<br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> D’un autre âge, ceux qui se disaient en communication avec Dieu étaient et sont encore appelés «prophètes» avec leurs écrits indiscutables.<br />  <br /> <br /> De nos jours, ceux qui entendent des voix et qui ont la certitude que Dieu leur parle ; nos jeunes en psychose hallucinatoire paranoïde (schizophrénie) sont traités en psychiatrie.<br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> La psychose hallucinatoire, cette « maladie universelle » que l’on vous a appris à ne pas comprendre.<br />  <br /> <br /> Ce qui est inscrit sur la notice pharmaceutique d’un antipsychotique de dernière génération : «... est utilisé pour traiter une maladie qui s’accompagne de symptômes tels que entendre, voir et sentir des choses qui n’existent pas, avoir des croyances erronées...». <br /> <br />  <br /> <br /> Cette relation vous semble inadmissible, alors je vous mets au défi de citer une seule autre manifestation qui soit à la fois l’œuvre présumée de l’Au-delà et également les symptômes d’une maladie. Pouvez-vous aussi remettre en cause la médication antipsychotique bien claire sur ce sujet.<br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> Peut-on croire réellement que Jeanne d’Arc ait reçu un portable et que l’on lui ait parlé en Lorrain ? NON, uniquement une psychose hallucinatoire auditive qui a fait d’Elle une héroïne puis une victime à l’aube de sa vingtième année.<br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> Nos jeunes sont dans cette logique de croyance dévastatrice de persécution par les forces de l’au-delà, sortons les de la psychiatrie par la réalité.<br />  <br /> <br /> Il est temps de ne plus vénérer cette maladie extrémiste. Que diriez-vous si certains étaient en adoration devant le cancer, le sida...<br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> Un père en prise avec cette « maladie de la croyance ».<br />  <br /> <br /> Maurice Champion - http://monsite.orange.fr/champion20<br />  <br />
Répondre
C
Bon article, fouillé, réfléchi... Je sens percer une certaine "colinisation"  de ta pensée.. Fais attention, tu vas bientôt voter Bayrou!!!
Répondre