La France a mal à ses migrants

Publié le par Ben

« Dis-moi comment tu traites les étrangers

et je te dirai quelle société tu construis »

Vous avez aimé le feuilleton sur les Rom ? Vous allez adorer celui sur le nouveau droit des migrants, dont le scénario a été concocté par les apprentis sorciers du ministère de « l’immigration et de l’identité nationale », dont Judas, Eric Besson pardon, est à la tête. Dans la série « le droit pour les nuls », l’UMP continue son escalade vers les sommets.

Le 28 septembre prochain en effet, pour la quatrième fois en sept ans, un nouveau projet de loi sur l’immigration va être présenté aux députés à l’Assemblée nationale.  Il y a eu en effet la loi Sarkozy I en 2003, la loi Sarkozy II en 2006, la loi Hortefeux en 2007. Et voici venir la loi Besson.

Mais pourquoi diable une telle focalisation sur ce sujet ? On aimerait voir autant de volontarisme en matière d’écologie, après le quasi abandon en rase campagne du processus du Grenelle parce que l’environnement, « ça commence à bien faire », dixit l’actuel locataire de l’Elysée au dernier salon de l’agriculture en mars 2010.

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Allons, malgré cet acharnement législatif, faisons néanmoins preuve de bonne volonté et intéressons-nous donc précisément à ce projet de loi déposé par Eric Besson le 31 mars 2010.

Peut-être s’avérait-il vraiment nécessaire ? C’est en tous cas l’argumentaire du ministère d’Eric Besson, expliquant que ce projet de loi a essentiellement pour but de transposer dans le droit français trois directives européennes :

- la directive « Retour »

- la directive « Carte bleue européenne »

- la directive « Sanctions »

En effet, lorsque les instances européennes adoptent une directive qui crée de nouvelles normes, les Etats membres de l’Union européenne ont l’obligation de veiller à ce que leur droit national intègre bien celles qui s’imposent à eux (elles ne sont pas toutes impératives). Si ce n’est pas le cas, ils doivent modifier leur droit national avant la date limite fixée par la directive.

Eric Besson était donc dans l’obligation de déposer ce texte eu égard aux obligations européennes de la France.

Explication un peu facile : d’après le collectif UCIJ (Uni(e)s contre une immigration jetable), qui regroupe des organisations spécialisées connaissant parfaitement le droit, et notamment le droit des étrangers, comme la Ligue des Droits de l’Homme, le GISTI, l’ANAFE etc., derrière cette apparence trompeuse de « simples mesures techniques », se cache une nouvelle machine de guerre contre les étrangers. On me rétorquera que ces organisations sont des regroupements de « gauchistes » et autres « droits de l’hommiste » qui empêchent des « hommes politiques courageux » d’expulser les étrangers en situation irrégulière.


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Pourtant, étant données les polémiques de ces dernières semaines sur les Rom, et notamment celle de la circulaire du cabinet d’Hortefeux, on m’excusera d’avance de préférer faire confiance à des professionnels en matière de droit plutôt qu’aux politicards qui nous gouvernent actuellement. C’est vrai quoi ! Imaginez que vous soyez convoqué devant un tribunal pour une action intentée contre vous au Pénal. Vous embauchez un bon avocat ou bien votre beau frère qui milite dans une section locale de l’UMP ?

 Soyons donc sérieux et regardons ce que nous dit l’UCIJ sur le projet de loi Besson :

 Il semble que ce projet diffère des précédents en marquant un tournant considérable dans la politique d’immigration française. Il introduit notamment de véritables régimes d’exception pour les étrangers. Attention point Godwin, mais je me couvre en citant Viviane Reding, qui n’est pas n’importe qui mais la vice-Présidente de la Commission européenne responsable de la Justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté : « Je pensais que l'Europe ne serait plus le témoin de ce genre de situation après la seconde guerre mondiale ».

Avec ce projet de loi, le gouvernement en profite pour aggraver sa politique d’hostilité aux étrangers, en allant au-delà de ce à quoi il est obligé en vertu des directives européennes et en glissant dans son projet de loi des changements sur des points qui n’ont rien à voir avec les directives de l’Union, au motif de « renforcer la politique d’intégration », ou encore d’introduire des mesures « de simplification », deux formules bien éloignées de la réalité d’après l’UCIJ.

Un exemple : la directive « Retour » : elle prévoit la possibilité de retenir enfermés des migrants, y compris mineurs, pour préparer leur « éloignement » pour une durée allant jusqu’à dix-huit mois. La durée de rétention est en effet aujourd’hui très variable d’un État membre à l’autre, parfois supérieure à dix-huit mois dans certains pays ou encore même pas réglementée, avec des migrants se voyant enfermés jusqu’à deux, voire trois ans. Dans ces Etats membres, la directive constituait donc un progrès. Mais pas en France, où la directive devient un bon prétexte pour allonger la durée de l’enfermement en centre de rétention (CRA). 

La durée maximale de rétention y est en effet actuellement de 32 jours. Avec le projet de loi « Besson », elle passerait à 45 jours. Pourtant, selon la directive, la durée de rétention doit être « aussi brève que possible » et elle doit être un dernier recours, lorsqu’il y a « une perspective raisonnable » d’éloignement.

Et selon la Cimade, soit l’administration parvient à renvoyer les étrangers placés en rétention dans les 10 premiers jours, soit elle n’y parvient pas et devra donc les remettre en liberté. L’allongement de la durée de rétention n’a donc aucune utilité juridique, si ce n’est le plaisir d’enfermer des étrangers plus longtemps. 

La directive précise que les Etats « peuvent » (et non « doivent ») procéder à l’enfermement, « à moins que d’autres mesures puissent être appliquées efficacement ». Le projet de loi Besson prévoit lui de prononcer des assignations à résidence au lieu d’enfermer en CRA, mais pour des durées pouvant aller jusqu’à deux fois six mois, voire plus, et sans possibilité réelle d’intenter un recours. Le principe de proportionnalité est donc bien mis à mal.

La directive limite également la possibilité de l’enfermement à des cas bien précis : - s’il y a « risque de fuite » du migrant, ou encore si le migrant empêche la préparation de son départ. La réforme envisagée par la France ne mentionne même pas ces cas spécifiques, et l’exposé des motifs fait référence, de façon floue, à « une menace pour l’ordre public ». Bien commode cette « menace pour l’ordre public ». On lui fait dire tout et n’importe quoi, comme le fait qu’une implantation de caravanes puisse constituer en tant que telle une… Une quoi ? Une « menace contre l’ordre public » ! C’est bien, vous progressez en « droit pour les nuls » version UMP.

Attention, le pompon : la zone d’attente « sac à dos » :

Les services de Besson nous ont concocté une nouvelle définition de la zone d’attente.Le projet de loi prévoit effectivement que dorénavant « la zone d’attente s’étend du lieu de découverte des intéressés jusqu’au point de passage frontalier le plus proche ». Une zone d’attente pourrait ainsi se créer juste à l’endroit où se trouvent des étrangers, comme s’ils l’avaient apportée avec eux dans leur sac à dos, et les suivre partout ! Alors ça c’est beau. 

Explication de texte : en janvier 2010, plusieurs dizaines de Kurdes originaires de Syrie avaient été découverts venant de débarquer sur les côtes corses. Eric Besson avait décidé de les placer dans divers centres de rétention sur le continent. Or les juges qui avaient eu à se prononcer sur la prolongation de leur enfermement avaient sanctionné les irrégularités de procédure commises et avaient ordonné la libération de tous, ce qui avait constitué un désaveu cuisant pour le ministre. Salauds de juges qui s’acharnent à appliquer le droit.

Le droit français emmerde notre ministre ? Qu’à cela ne tienne ! On tord le droit et on en fait n’importe quoi. Et vive les zones d’attente « sac à dos » !

Laissons les faire et bientôt ils nous inventerons la « peine de mort démocratique », pour les multirécidivistes. Mais comme dirait Sarko « mais qu’est-ce que je dois faire ? (à dire avec l’accent de Stéphane Guillon imitant notre « grand président ») Laisser des barbus musulmans intégristes lancer des moutons égorgés du haut des minarets en criant « Allah Akbar » ? » (Voir Action discrète). 

Les zones d’attente sont des espaces dans lesquels les étrangers qui arrivent en France attendent que l’on décide de les autoriser à entrer sur le territoire national. On trouve aujourd’hui ces espaces dans les aéroports, les ports ou encore les gares qui desservent l’international. Par un petit tour de passe-passe juridique, ces espaces sont hors territoire français et les étrangers y voient alors leurs droits soumis au bon vouloir des forces de l’ordre. Alors si les migrants transportent leur zone d’attente avec eux, ça sera très pratique.

Et tout le reste de ce texte est de cet acabit. Je vous laisse découvrir l’analyse synthétique de l’UCIJ sur le projet de loi Besson ici :

http://www.gisti.org/IMG/pdf/hc_ucij_mini-analyse_2010-07.pdf

Et dire que c’est un ancien socialiste qui porte ce projet de loi. Sarko 1er doit en éprouver une immense jouissance. Mais nos droits fondamentaux en prennent eux un sacré coup au passage.

Galouzeau de Villepin, dont je ne suis guère fan mais à qui je reconnais le sens de la formule, a déclaré à propos du discours ultra sécuritaire de Sarkozy à Grenoble cet été et de ses projets de déchéance de nationalité que tout ceci constituait « une tâche de honte sur notre drapeau ». Avec cet énième projet de loi sur l’immigration, notre actuel président et son gouvernement se servent carrément de notre drapeau comme papier toilettes. 

Avant même le vote de ce projet de loi, on ne peut pas dire que le sort des étrangers en France soit déjà des plus exemplaires. Illustration par le livre sorti ces jours-ci par un collectif de 18 associations et intitulé « Etrangers, conditions d'accueil et traitement des dossiers à la préfecture de Bobigny: l'indignité ».

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(Queue un matin comme les autres à la préfecture de Bobigny).

Mais où donc s’arrêteront-ils dans leur obsession de capter l’électorat du Front National ? Nicolas Sarkozy et l’UMP, en foulant aux pieds toutes les valeurs d’un mythe de plus en plus amoché, la « Patrie des droits de l’Homme » sèment les graines de la haine et de la xénophobie en espérant en cueillir les fruits aux prochaines échéances électorales. Malheureusement pour eux, en se mettant à dos la droite républicaine, gaulliste et catholique par ce type de politique, ils risquent surtout de n’en faire profiter que Marine Le Pen et ses troupes. Et on verra alors si le refus de Xavier Bertrand de toute alliance avec le FN, réaffirmé récemment sur France Inter, tiendra encore partout aux prochaines législatives.

Heureusement que face à ces comportements des plus dangereux pour notre démocratie et notre vivre ensemble, de simples citoyens s’insurgent et agissent, et pour dénoncer la politique xénophobe du gouvernement, et pour proposer d’autres alternatives.

Début septembre par exemple, neuf personnes ont entamé un jeûne de dix jours devant l'Assemblée nationale au moment où la commission des Lois examinait et amendait le projet de loi sur l'immigration pour «toucher les députés dans leur conscience», dixit Jean-Paul Nuñez, pasteur détaché auprès de la Cimade (voir l’article de Libération).

Un collectif, Circul’Air, vient également de se créer pour dénoncer avec humour mais détermination la politique du gouvernement sur d’immigration et proposer un vrai débat en matière de liberté de circulation et d’installation.

Car en matière d’immigration, tout comme en matières de retraites, en matières d’emploi, en matière d’imposition, en matière d’environnement, etc. d’autres politiques non seulement sont possibles mais sont nécessaires avant que les fractures qui ne traversent notre pays ne deviennent irréversibles.

Il va falloir que la gauche et l’ensemble des opposants à Sarkozy, en particulier les écologistes, s’emparent sérieusement du sujet de l’immigration, sans tabous ni faux fuyants, pour déconstruire enfin cette question manipulée depuis trente ans par une classe politique effrayée par le Front National qui, non et non, ne pose même pas les bonnes questions.

Commençons donc par aller voir le dernier film de Rachid Boucharef, Hors-la-loi, qui sort ce mercredi.

Publié dans Actualité Bin Jamin

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V
Tous les conseils que vous avez partagés sont adorables !!! Merci.
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